LA RENAISSANCE CATHOLIQUE

N° 254 – Novembre 2020

Rédaction : Maison Sainte-Thérèse


La bienheureuse Catherine de Saint-Augustin 

 Victime pour la Nouvelle-France

MOINS connue que  sainte Marie de l’Incarnation, que les Saints Martyrs canadiens, ou encore que saint François de Laval, la bienheureuse Catherine de Saint-Augustin n’en est pas moins une figure très attachante des débuts de la colonie. Les faits mystiques indubitables de son existence sont de ceux qui nous permettent de qualifier de sainte l’histoire du Canada français.

Quand elle arriva à Québec le 19 août 1648, personne ne pouvait se douter que Dieu la destinait à une vocation sublime. On n’avait d’yeux que pour monsieur et madame d’Ailleboust, le nouveau gouverneur et son épouse, et pour le très apprécié Père Vimont, de retour à Québec pour dix ans. Trois religieuses chanoinesses de Saint-Augustin les accompagnaient, très attendues pour renforcer leurs sœurs fort éprouvées du petit hôpital. Certes, on remarqua la jeunesse de l’une d’elles, dont nous allons raconter l’histoire, puisque sœur Catherine de Saint-Augustin n’avait que seize ans !

Peu à peu, le récit de sa conduite héroïque pendant la traversée se répandit. La peste s’étant déclarée, elle avait soigné les malades avec une rare délicatesse avant d’être elle-même si gravement atteinte qu’on s’attendait à sa mort prochaine. Or, miraculeusement rétablie, elle avait repris aussitôt son service de charité. Par contre, on ne savait pas que sa guérison instantanée était intervenue après la vision de tous ses péchés et d’un dragon horrible qui voulait la dévorer, dont elle ne fut sauvée que par un acte d’adoration de la volonté divine et un appel à la Sainte Vierge.

L’hôtel-Dieu du Précieux-Sang à Québec n’était alors qu’une maison longue, large de douze pieds, en bois rond, élevée à l’extérieur de la palissade. La grande salle ne comptait que dix lits. Les sœurs soignaient les sauvages dans leurs tipis dressés hors de l’enceinte. Il en sera encore ainsi pendant cinq ans : la guerre avec les Iroquois rendait bien incertain l’avenir de la colonie et décourageait tout projet d’agrandissement.

Maquette du premier “ Hôpital ” de Québec entouré des tipi

Aux yeux de ses contemporains, sœur Catherine de Saint-Augustin fut une religieuse remarquable pour ses talents d’infirmière (les Indiens l’appelaient la grande fille, ou bien la fille des filles, ou bien encore celle qui rend l’intérieur plus beau), mais aussi de gestionnaire. En 1658, à 25 ans, elle fut élue dépositaire, puis maîtresse des novices à 33 ans ; elle aurait probablement été élue supérieure en 1668, si le Bon Dieu ne l’avait rappelée à lui. À part son confesseur, sa supérieure et l’évêque, personne ne connut, de son vivant, les grâces mystiques extraordinaires dont elle fut gratifiée.

Mgr de Laval considérait la vie de cette religieuse comme « un chef-d’œuvre du Saint-Esprit » ; après la mort de celle-ci, il donna l’ordre au Père Ragueneau, son confesseur, d’écrire sa biographie en n’omettant rien des grâces de sa vie spirituelle et de ses combats. L’ouvrage eut un grand retentissement dans la colonie, car ceux qui la connaissaient et se souvenaient de ses bontés comprirent qu’ils avaient été soignés par une sainte ! C’est ce secret que nous allons maintenant essayer de pénétrer.

Catherine de Longpré naquit le 3 mai 1632 à Saint-Sauveur-le-Vicomte, dans le Cotentin, jour de la fête de l’Invention de la Sainte-Croix, cinq semaines après la signature du traité de Saint-Germain par lequel les Anglais nous restituaient la Nouvelle-France, prise en 1629.

Ses parents étaient de petite noblesse de robe, milieu modeste mais aisé, très pieux aussi et charitables, à l’école de saint François de Sales et surtout de saint Jean Eudes dont ils avaient suivi une retraite.

La petite Catherine fit preuve d’une intelligence et d’une piété précoces. Dès l’âge de trois ans, il suffisait de lui dire que telle action déplaisait à Dieu, pour qu’elle cessât immédiatement. Soucieuse de savoir « les avantages qu’il y a à aimer Dieu », un jour que ses parents soignaient un pauvre avant de lui faire l’aumône, elle demanda au célèbre Père Malherbe, qui était de passage : « Qui est-ce qui fait bien la volonté de Dieu ? » Le jésuite lui répondit : « Mon enfant, c’est ce pauvre-là qui fait bien la volonté de Dieu, prenant son mal en patience comme il le fait ; car on fait plus sûrement la volonté de Dieu dans les afflictions, les humiliations et les souffrances que lorsqu’on a tout à souhait. »

La leçon ne s’effacera jamais de l’esprit de Catherine, qui en avait aussitôt tiré la conséquence logique en demandant à souffrir.

Or, quelques jours plus tard, entendant le jésuite conseiller au pauvre d’offrir ses souffrances pour la conversion de sa mère qui était une mauvaise femme, elle l’interrogea de nouveau : « Pourquoi souhaitez-vous à ce pauvre de souffrir puisque c’est sa mère qui est méchante ? » Le missionnaire lui enseigna alors la nécessité du pardon, à l’imitation de Jésus mourant sur la Croix pour notre salut. La leçon fut vite assimilée : désormais, elle demanda la grâce de souffrir pour les autres.

Détail important : ce dialogue entre le célèbre prédicateur et notre future bienheureuse eut lieu lorsque celle-ci n’avait que... quatre ans.

Comment expliquer une telle précocité, qui n’est pas enfantillage puisqu’elle entraîna chez elle de véritables efforts de vertu ? Quelques mois plus tard, elle commença à souffrir de violents maux de tête, qu’elle supporta avec résignation. Plus tard, elle avouera son secret : c’est qu’elle vivait déjà avec le sentiment de la présence maternelle de la Sainte Vierge à ses côtés pour disposer son âme à bien profiter de la bonne éducation que lui donnaient les siens.

Il arriva aussi, par trois fois, que le démon la poussat dans les escaliers mais, à chaque fois, une main invisible amortit sa chute, lui épargnant le moindre mal.

Nous ne nous étonnerons pas, dès lors, que sa première communion, à l’âge de huit ans, fût une grande fête et surtout une consolation spirituelle qui la convainquit que Dieu la voulait sainte.

Or, sa nature se rebuta à cette perspective, comprenant intuitivement qu’il lui faudrait mourir à elle-même. Aussi cette journée d’extraordinaire ferveur fut suivie d’une période de relâchement durant douze mois, peut-être même dix-huit, jusqu’à ce qu’un songe la saisisse : un monstre lui apparut armé d’un coutelas et la blessa légèrement ; appelant à l’aide la Sainte Vierge, elle trouva refuge auprès d’une religieuse en qui elle reconnaîtra plus tard la supérieure du couvent des Augustines de Bayeux. Ce fut suffisant pour qu’elle se décidât à devenir religieuse.

Le 8 septembre 1642, à l’âge de dix ans, elle se consacra à la Sainte Vierge par un acte signé de son sang. Ce texte était très inspiré d’une consécration qui se trouvait dans un livre de saint Jean Eudes, mais il n’en était pas la copie fidèle. Voulant honorer la Conception Immaculée de la Sainte Vierge, elle y demandait son aide pour ne pas pécher car, éclairée sur elle-même par son récent et long relâchement, elle n’avait aucune confiance en sa vertu. Elle résolut de prendre modèle sur sa Mère du Ciel afin de mourir à elle-même. À la suite, elle reçut le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel et fut délivrée alors de ses maux de tête.

Quelques mois plus tard, elle ouvrit son âme à saint Jean Eudes, venu prêcher une mission, et lui avoua son désir d’être religieuse. Il l’engagea à prononcer un triple vœu : celui de prendre la Sainte Vierge pour mère, celui de ne jamais faire de péché mortel et celui de perpétuelle chasteté.

Le 1er janvier 1644, malgré de fortes tentations contre sa vocation et bien qu’elle n’ait que douze ans, elle se décida à la suivre, ce qu’elle fit le 7 octobre suivant.

Avec sa sœur aînée, elle entra au couvent des hospitalières, chanoinesses de Saint-Augustin, à Bayeux, fondé six mois plus tôt par sa tante. Elle s’y fit remarquer par son caractère enjoué et décidé, mais aussi par ses dons d’infirmière.

À cause de son âge, elle ne put prendre l’habit que le 24 octobre 1646, jour de la profession de sa sœur et de... l’entrée de sa grand-mère !

Sa dévotion mariale, toujours aussi vive, se centra alors sur le Cœur Immaculé de Marie. Depuis sa consécration de 1642, elle avait approfondi sa connaissance de la Sainte Vierge et en particulier de sa vocation de Médiatrice et de Corédemptrice. Elle comprit que le Christ voulait qu’on ne puisse toucher son Cœur à Lui qu’en passant par sa Mère.

Le 12 janvier 1648, sa communauté la désigna pour partir au Canada, « à cause de la longue persévérance qu’elle a témoignée depuis trois ans dans le désir d’y être envoyée. »

La nouvelle consécration à la Sainte Vierge qu’elle écrivit alors témoigne de son évolution. En 1642, éprise de la bonté maternelle de la Mère de Dieu, elle se confiait totalement à elle ; en 1648, ayant conçu le rôle irremplaçable de la Sainte Vierge dans le dessein divin, elle voulut s’y soumettre et le servir.

Son père, quoique bon chrétien et homme d’oraison, s’opposa formellement au départ de sa chère fille pour le Canada. Afin d’obtenir son consentement, elle fit vœu de vivre et de mourir en Canada si Dieu lui en ouvrait la porte. Quelques jours plus tard, le récit du martyre de saint Isaac Jogues, qu’on venait d’apprendre en France, bouleversa son père et le détermina à donner librement son accord.

Elle fit ses vœux simples perpétuels avant son départ de Bayeux, mais elle ne fera sa profession solennelle qu’une fois ses seize ans accomplis, à Nantes, le 4 mai 1648, quelques jours avant de s’embarquer pour la Nouvelle-France.

C’est donc après une pénible traversée de deux mois et demi, qu’elle découvrit enfin le « petit paradis de Québec », et commença sans tarder son service auprès des malades. Avec les nouvelles venues, huit religieuses se dévouaient héroïquement aux soins des colons et des autochtones. Comme le notait l’analyste de l’Hôtel-Dieu : « Il faut savoir ce que c’est qu’un sauvage qui se porte bien pour savoir ce qu’est un sauvage malade. »

La supérieure était mère Marie de Saint-Bonaventure, qui mourut en 1698, à 82 ans, après 70 ans de vie religieuse. C’était une maîtresse femme, mais d’une bonté et d’une douceur exceptionnelles, puisées dans le Sacré-Cœur de Jésus qui la favorisait de douces communications.

La lecture captivante des annales nous révèle la vie quotidienne de ces religieuses cloîtrées, et nous laisse confondus devant tant d’héroïsme. À la pauvreté, aux difficultés des soins dans des conditions impossibles, s’ajoutait pour vingt ans la peur des incursions iroquoises. L’année de l’arrivée de sœur Catherine fut celle du martyre de saint Antoine Daniel, qui précéda de quelques mois celui des saints Jean de Brébeuf, Gabriel Lalemant, Charles Garnier et Noël Chabanel.

Le dévouement des Augustines fut aussi mis à l’épreuve en 1650 par la venue à Québec des quatre cents rescapés de la nation huronne, dont beaucoup demandaient des soins. En hiver, elles recueillirent sainte Marie de l’Incarnation et ses sœurs ursulines après l’incendie de leur monastère, ce qui obligea de rationner la nourriture.

Notre jeune sœur Catherine, qui n’avait que dix-huit ans, gardait alors tout son enthousiasme et son inébranlable confiance en la Providence, comme sa correspondance avec Bayeux en témoigne. Elle ne craignait qu’une chose : devoir retourner en France.

Maquette du premier Hôtel-Dieu de Québec dont la Bse Catherine a été l’initiatrice

C’est un beau jour de 1652, ou plus exactement une nuit, que tout bascula : la vision d’un chemin étroit bordé d’épines très longues, débouchant sur une clairière, elle aussi épineuse, lui fit comprendre qu’elle allait devoir beaucoup souffrir.

Le 10 octobre – elle avait donc vingt ans et déjà quatre années de vie religieuse héroïque à Québec – elle fut soudainement assaillie de terribles tentations contre la pureté et contre sa présence à Québec.

Son confesseur, le Père Ragueneau, l’ancien supérieur de Sainte-Marie-des-Hurons, discerne facilement l’attaque démoniaque dont elle est l’objet, mais qui s’intensifie rapidement. Les tentations deviennent des obsessions, tandis que les consolations spirituelles qui stimulaient son courage disparaissent.

Or, pendant des mois, des années, elle luttera pied à pied, observant scrupuleusement le programme de prières et de pénitences fixé par son confesseur. Son âme ne veut véritablement qu’une chose : faire la volonté de Dieu que lui signifie l’obéissance. Tout le reste ne compte pas.

Le 18 octobre 1654, comme jadis saint Noël Chabanel aux prises avec une semblable épreuve spirituelle, sur l’ordre du Père Ragueneau, elle fit vœu de demeurer au Canada, quoi qu’il arrive. L’obsession de retourner à Bayeux disparut aussitôt, mais les tentations d’impureté redoublèrent d’intensité.

En 1656, elle affronta de rudes combats que seuls son confesseur et sa supérieure connaissaient depuis quatre ans. Le démon s’acharnait sur elle. Elle n’était pas possédée, mais sans cesse sollicitée au mal ; or, elle résistait. Elle est la figure de tous les enfants de Marie, que Satan déteste.

Cependant, sans que ses souffrances morales en soient atténuées, elle jouissait de visions et de lumières célestes qui sont autant d’ouvertures sur les réalités surnaturelles qui, pour ainsi dire, doublent notre vie naturelle, même religieuse.

Statue miraculeuse

de Notre-Dame de Protection

apportée par la Bse Catherine

Par exemple, à l’Ascension de 1654, tandis qu’elle se plaignait que la prédication ne lui était d’aucun profit, Notre-Seigneur lui dit : « Écoute et vois. » Elle eut alors la révélation qu’une partie du discours après la Cène, dans l’Évangile de saint Jean, nous relate les paroles de Jésus prononcées pendant son dernier repas avant son Ascension. Les exégètes modernes font bien cette distinction, ce qui n’était pas le cas au XVIIe siècle !

Ce jour-là aussi, elle assiste à la procession qui accueille le Christ dans sa gloire, procession menée par saint Jean-Baptiste et dans laquelle se trouve saint Joseph, mais voilà que Jésus, désirant honorer ce dernier, lui donne tout pouvoir et veut qu’il ait l’honneur de lui commander.

Nous n’avons pas la place ici de mentionner toutes les visions qui réconfortaient la bienheureuse Catherine. Elles mériteraient une étude à part ; remarquons simplement qu’elles ne sont que des parenthèses : dès qu’elles cessent, les obsessions reprennent de plus belle tandis que notre sainte religieuse court à son devoir d’état.

Six ans se passèrent ainsi. Si sa vie s’était arrêtée en cette année 1658, sœur Catherine n’aurait été qu’une sainte religieuse qui aurait témoigné héroïquement, à travers de multiples tentations, son indéfectible amour à son Seigneur et Maître. Quoiqu’admirable, son existence n’aurait eu aucune incidence importante sur notre histoire sainte du Canada français.

Tandis qu’à partir de 1658, déjà aguerrie par ces combats, elle entre dans l’orthodromie divine. Elle va concourir à la réalisation du dessein de Dieu en luttant contre les forces de l’enfer, au profit de la Nouvelle-France.

En effet, c’est cette année-là que le trafic de l’alcool avec les Sauvages divisa la colonie. Les jésuites, considérant le bien des âmes, s’y opposaient. Le gouverneur, monsieur d’Argenson, à qui les instructions reçues de Colbert faisaient un devoir de favoriser le commerce, l’encourageait.

Au moment où Rome nommait un vicaire apostolique pour la Nouvelle-France en la personne de saint François de Laval, Catherine avait une vision au cours de laquelle Notre-Seigneur l’agréait pour victime de son amour, en l’appelant à l’apostolat de la souffrance.

« Il me semblait que Notre-Seigneur m’adressait particulièrement ces paroles : “ Qui veut me suivre, qu’il s’oublie lui-même et prenne ma croix. Il changeait le mot  sa croix en  ma croix , comme pour me dire : cette croix est à moi avant que d’être à toi, car je l’ai sanctifiée ; elle est mienne, puisque je souffre avec ceux qui souffrent pour mon amour ; elle est mienne, parce qu’elle est selon mon choix, et non pas selon le vôtre. [...] Sache aussi que souffrant pour les pécheurs, tu me fais un aussi grand plaisir que si au temps de ma Passion tu eusses essuyé avec un linge pur et net les crachats qui couvraient ma face. [...] Oh ! Si on savait combien je prise la charité désintéressée, on s’oublierait soi-même pour le salut de son prochain. »

« L’ANGE DU DIOCÈSE »

C’est en juin 1659 que le nouveau vicaire apostolique arriva en Nouvelle-France. Lors de la fête de l’Assomption à Québec, tandis qu’il donnait le sacrement de confirmation à celle qu’il appellerait un jour « l’ange du diocèse », elle assistait à la même cérémonie au Ciel, saint Pierre tenant la place de Mgr de Laval.

Mgr François de Laval

Alors, elle s’éprit de lui, non pas d’une affection humaine, mais d’une vénération pour le représentant du Christ. Elle en épousa donc toutes les épreuves et pria sans cesse à ses intentions, pour l’implantation de l’Église en Amérique du Nord. Le sacrement lui conféra aussi une force nouvelle pour lutter contre les tentations au point de ne plus en souffrir.

Marie de l’Incarnation avait reçu la mission de bâtir, dans ce pays « autant pitoyable qu’effroyable », une maison à Jésus et à Marie. Par la prière, la pénitence et l’amour, fidèle à sa vocation propre, elle soutint la fondation de la Nouvelle-France.

Catherine de Saint-Augustin, elle, allait plutôt y soutenir la fondation de l’Église, au milieu des pires périls. En ces années-là, les hivers étaient plus terribles que jamais et la menace iroquoise se faisait encore plus pressante, si bien que l’évêque donna l’ordre aux religieuses hospitalières de quitter leur hôpital à l’orée des bois pour se réfugier la nuit dans la ville. Mais il fallait tout de même qu’une religieuse restât de garde auprès des malades ; le plus souvent, c’était sœur Catherine dont la présence les apaisait.

Par contre, ses souffrances physiques augmentaient. Mais surtout, elle subissait les attaques visibles des démons qui la frappaient. Ses obsessions, y compris l’obsession d’impiété pour l’empêcher de communier, ne lui laissaient aucun répit.

Ce qui s’écrit en deux phrases représente deux ans de souffrances, jusqu’au 25 mars 1662, jour où saint Jean de Brébeuf, martyrisé treize ans plus tôt, lui apparut. Il avait mission de la protéger des démons et d’être son directeur spirituel en remplacement du Père Ragueneau, parti en France. Par elle, le saint martyr prolongea sa propre mission : vaincre les démons qui dominaient le pays par son obéissance à la volonté divine, dans la faiblesse et le total dépouillement.

Ces démons, elle les a vus se vanter du mal qu’ils faisaient à la colonie par la vente de l’alcool aux autochtones. Aussi avec quelle ferveur et quel esprit de pénitence soutenait-elle les démarches de Mgr de Laval auprès de Louis XIV contre le gouverneur.

Elle continuait d’entretenir le Père Ragueneau de ses grâces, dans une correspondance régulière que le jésuite garda précieusement, qui nous est ainsi parvenue. Parmi les nombreuses visions qu’elle y relate, il y a celle de la gloire du Père de Brébeuf au Ciel, commis à la protection du Canada. Pour atténuer les peines et les souffrances de sa dirigée, il lui suffisait de se tourner vers Notre-Seigneur pour qu’aussitôt elle fût soulagée ou délivrée. Même si ses entretiens lui paraissaient toujours trop courts, elle en était tellement heureuse qu’elle n’arrivait plus ensuite à trouver le sommeil.

Intérieur actuel de la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Québec, fruit de l’œuvre de la Bse Catherine de Saint-Augustin

Mais venons-en à la vision du 1er janvier 1663, capitale pour notre histoire sainte du Canada. Notre Dieu montra à Catherine son courroux contre la colonie infidèle à sa vocation, et sa volonté de l’en punir : « Il me sembla voir un bouleversement dans la terre et qu’il en resta de certaines crevasses par endroit. » Le 5 février, ce fut le grand tremblement de terre.

Quelques jours plus tard, voyant saint Michel prêt à châtier de nouveau la Nouvelle-France, elle s’offrit en sacrifice, terrifiée par la colère de Dieu, mais qu’elle savait juste. « Je restai étrangement touchée de ce que Dieu était si irrité ; et mon cœur était dans un grand désir de pouvoir l’apaiser. Je n’ai jamais si bien conçu qu’alors ce que c’est que le péché. Qu’il y a peu de foi et que l’on ne comprend guère ce que c’est que Dieu ! » Cinq mois durant, les tremblements de terre se succédèrent.

Le 18 mars, saint Jean de Brébeuf lui apparut pour lui demander la mortification continuelle des satisfactions de la nature. Alors qu’elle était prise de tentations d’impiété et craignait que ce soit la raison de la colère de Dieu, Notre-Seigneur « me dit que ce n’était pas moi, mais bien ses plus chers amis et les plus proches de son Cœur qui l’avaient mis dans cet état. Je conçus par-là que Notre-Seigneur avait le Cœur touché de ce que ceux qui étaient ses plus intimes amis le persécutaient. » En réparation, il lui demandait de souffrir sans murmurer, de ne point chercher à adoucir ses peines intérieures et de ne perdre aucune occasion de pratiquer la charité.

Le 12 juin, saint Jean de Brébeuf la visita en compagnie de saint Joseph qu’elle voyait tout dépité des désordres dans ce pays dont il est le patron. Il lui témoigna alors que ceux qui travaillent à porter remède à cette situation lui rendent un bon service.

Le 15 septembre, Mgr de Laval était de retour à Québec, ses démarches à Versailles couronnées de succès.

Pourtant, monsieur de Mésy, le nouveau gouverneur qu’il avait choisi à cause de sa piété, se retourna contre lui et reprit la vente de l’alcool aux Sauvages. Catherine de Saint-Augustin redoubla alors ses pénitences. Saint Michel et saint Ignace, touchés de compassion, lui proposèrent d’intervenir pour atténuer ses peines, mais elle refusa.

Monsieur de Mésy mourut prématurément après une courte maladie, malgré les soins de notre sainte religieuse. Elle assista à son jugement particulier, pria pour le repos de son âme, obtenant son salut moyennant un long purgatoire d’autant d’années que d’heures passées en Nouvelle-France, c’est-à-dire un peu plus de cinq mille.

Qui à Québec aurait pu imaginer que cette religieuse hospitalière modèle, tout occupée à son devoir, avait contemplé la gloire de l’Immaculée, avait vécu au Ciel les fêtes de la Nativité, de l’Immaculée Conception, de saint Pierre, de l’Assomption, ou encore la consécration de la cathédrale, le 11 juillet 1666 ? Son récit de cette dernière vision serait à méditer au moment où nous fermons nos églises.

En fait, si soixante ans après l’arrivée des premiers colons, la cathédrale put être consacrée, c’est que l’Église était fondée durablement sur les rives du Saint-Laurent. La mission de la sœur Catherine touchait donc à sa fin.

Trois semaines après, le 2 août 1666, elle tomba malade. Saint François de Sales la guérit, ce qui ne lui convint pas ; elle aurait volontiers fait sienne l’exclamation de sainte Marguerite-Marie quelques années plus tard à Paray-le-Monial : « Plus de croix, quelle croix ! »

Puisqu’elle en réclamait, d’autres tentations l’assaillirent, cette fois de désespoir. Elle allait vivre ainsi encore une année, sans répit dans ses peines comme dans son dévouement, mais l’âme extraordinairement en paix.

Le 20 avril 1668, elle fut prise d’un crachement de sang. Il était temps pour elle d’avoir sa récompense. En ce printemps, le régiment de Carignan regagnait la France, la colonie comptait maintenant six mille âmes environ et commençait à être autosuffisante, l’Église surtout était bien implantée.

Sa mort fut aussi étrange et déroutante que sa vie. Son mal empira à partir du 3 mai, jour de son 36e anniversaire. Le 7, on lui donna les derniers sacrements. Sa supérieure, la bonne mère Marie de Saint-Bonaventure, ne la quittait pas, sinon pour aller prier devant le tabernacle pour implorer sa guérison.

Au milieu de la nuit, sœur Catherine eut une grande faiblesse. La communauté appelée en hâte fut témoin d’une extase, elle était ravie en Dieu, son pouls ayant cessé de battre. Mais, tout d’un coup, retrouvant l’usage de ses sens, elle s’écria : « J’adore vos divines perfections, ô mon Dieu, j’adore votre divine justice ! je m’y abandonne de tout mon cœur. » Puis elle regarda ses sœurs, rayonnante de joie. « Voilà qui va bien, dit-elle gaiement. Entre cinq et six heures, il y aura du changement dans nos affaires. En attendant, me voici guérie. On vient de me dire que tous mes maux sont finis, que tout est fait et qu’il n’y a plus de douleur. »

Elle réclama d’aller à la chapelle, on le lui refusa ; elle entonna alors le Te Deum. Puis elle demanda à manger. Elle trouva insuffisant ce qu’on lui servit, mais voulut bien attendre. Comme elle se sentait fatiguée, on la laissa se reposer. La communauté se dispersa, heureuse de cette guérison miraculeuse. Restèrent à ses côtés la supérieure et l’infirmière qui, vers 6 heures, constatèrent que son âme avait quitté son corps sans que personne ne s’en fût aperçu ! C’était le 8 mai 1668, jour de la fête de saint Michel qui lui avait promis son assistance spéciale.

Pas de doute : Dieu voulait cette colonie de la Nouvelle-France. Les saints qui ont permis ou affermi cette fondation nous font comprendre son dessein. Aussi doivent-ils nous servir de modèles pour le combat à mener afin de triompher de ces démons, et de reprendre leur œuvre.

Reliquaire des restes de la Bse Catherine de Saint-Augustin à côté de celui du crâne de saint Jean Brébeuf